Les philosophes meurent aussi

Publié le par Michel Meurant

CHAPITRE VIII

            Lorsqu’à sept heures trente le commandant Huret pénétra dans la salle du restaurant, il fut surpris d’y trouver l’avocat général prenant seul son petit déjeuner.

Bonjour commandant ! Asseyez-vous pendant que je termine. Un café, comme d’habitude ?

Pour toute réponse Huret étala sur la table le journal qu’il avait à la main.

- Regardez, il y a un grand article de Madame Herding sur l’affaire dans la journal régional. Je ne savais pas qu’elle y écrivait.

- Moi non plus.

- Elle…est où…Madame Herding ?

- Je ne sais pas…pourquoi ?

Devant l’air interloqué du commandant, il éclata de rire, d’un rire quand même un peu forcé.

- Ce n’est pas du tout ce que vous croyez. Madame Herding est une amie…j’ai fait sa connaissance alors que j’étais procureur à l’occasion d’une affaire qui a défrayé la chronique…elle est peut-être encore dans sa chambre…ou alors elle est partie…je ne sais pas !

- Excusez-moi murmura Huret penaud. Je voulais la féliciter.

- Pourquoi ?

- C’est une grande professionnelle…alors qu’elle ne sait rien ou presque, elle a réussi à remplir une page entière…Lisez !

Il y avait l’annonce dans l’article en première page avec une photo de Gauthier et une du lycée. L’article occupait toute la troisième page. Il était signé de Justine.

            Il parcourut rapidement la page.

            - Elle fait ce que fait tout bon enquêteur…

            - C’est-à-dire ?

            - Elle se pose des questions…et apparemment ce sont ls bonnes ! répliqua-t’il en repliant le journal et en le fourrant dans les mains du commandant.

            Ils gagnèrent le Palais.

            - Allez, dites-moi tout !

            Huret sortit son petit carnet noir.

            - On a analysé le contenu de l’ordinateur trouvé dans l’appartement parisien…Il ne contient rien d’intéressant pour l’enquête…essentiellement des mails échangés avec des femmes, certains coquins, même franchement cochons…quelques photos de ces dames en petite tenue, en très petite tenue, dans des poses…Il devait être exceptionnel, car elles s’accrochaient à lui…ce sont elles qui lui envoyaient les photos sur lesquelles elles renonçaient parfois à toute pudeur…enfin vous voyez ! On a relevé toutes les adresses mails…quelques-unes risquent d’être un peu embarrassées lors de leur audition.

            En revanche la clé USB est énigmatique. Comme je vous l’avais dit, elle ne contient qu’un texte, assez long…contrairement à ce que j’avais cru, il porte un titre : « Mon aigle noir »…c’est curieux parce qu’à aucun moment il n’est question d’un aigle dans le texte…c’est un récit, à la première personne…c’est une femme qui écrit et qui raconte son adolescence…Elle a été victime de viols répétés et, si on lit bien, on comprend que le violeur était son père et que ça a duré un certain temps…elle en veut à sa mère de n’avoir rien vu ou d’avoir fermé les yeux…le texte est inachevé.

            Pourquoi avait-il cette clé avec ce texte ? Et ce titre… !

            - Vous connaissez Barbara ?

            - Barbara qui ?

            - La chanteuse Barbara !

            - Elle est morte !

            - Oui, en 1997, si je me souviens bien.

            - Quel rapport avec Gauthier ?

            - Elle écrivait les textes de ses chansons. Elle en a écrit une qui s’intitule « L’aigle noir ». Elle avait subi des viols, commis par son père, et on a cru comprendre que la chanson y faisait allusion, par métaphore.

            - Ce serait en référence à cette chanson que le texte porte ce titre !

            - Sans doute…en tout cas ça semble plausible….reste à savoir qui l’a écrit…peut-être Gauthier lui-même !

            - Mais c’est une femme qui raconte !

            - Et alors ?...bon nombre d’écrivains masculins, et pas des moindres, se sont glissés dans la peau d’une femme dans leurs œuvres… C’est Flaubert qui un jour s’est écrié « Madame Bovary c’est moi ! »

            - Mais Gauthier n’était pas écrivain !

            - Il y a beaucoup de gens qui écrivent, comme ça, sans être écrivain, pour le plaisir, pour leur plaisir, en ne caressant même pas le rêve d’être un jour publiés…

            - Ouais !

            - Pas convaincu ?

            - Non, pas du tout ! Pour moi – le l’ai lu ce récit – c’est une femme qui raconte et une femme qui écrit…et ça sent fichtrement l’histoire vécue.

            - Où est-elle cette clé ?

            - Au service, elle a été saisie.

            - Vous avez déjà confectionné le scellé ?

            - Non, pas encore.

            - Alors apportez la moi, ou faites en une copie…vous m’intriguez !

            - D’accord !

            - Vous avez revu la proviseur ?

            - Tout à fait !

            - Comment ça s’est passé ?

            - Au début elle était sur la défensive, puis, peu à peu, elle s’est détendue…Je ne dirai pas qu’on s’est quitté bons amis, mais presque… Je vous l’avais bien dit, je sais faire patte de velours.

            - Bravo ! Elle vous a fourni la liste des maîtresses enseignant au lycée ?

            - Oui, et même l’identité de la lycéenne que Gauthier s’est tapée ! C’était il y a trois au quatre ans. Actuellement la donzelle fait des études de psycho…elle est en master et, devinez !

            - Elle fait partie du mouvement de Gauthier.

            - Comment le savez-vous ?

            - C’est enfantin, il l’a endoctrinée et est devenu son amant…ou l’inverse !

            - Vous êtes trop fort…mais il y a mieux !

            Il ne voulut pas lui couper son effet.

            - C’est-à-dire ? interrogea-t’il, tout en étant certain de la réponse.

            - Elle est du clan Barbier !

            - Ne me dites pas qu’elle porte de faux ongles !

            - Je ne sais pas, on ne l’a pas encore vue. On n’a fait que son environnement.

            - C’est diablement intéressant, dites-moi !

            - Diablement, comme vous dites, répliqua Huret en souriant ironiquement.

            - En parlant de Barbier, que sait-on de lui ?

            - On a fait son environnement également.

            Donc Henri Barbier, 34 ans, né à Montdidier dans la Somme, célibataire, prof d’histoire agrégé au lycée de S…depuis un peu plus longtemps que Gauthier…Sujet brillant, non seulement agrégé, mais docteur es lettres, sa thèse portait sur la Commune de Paris…

            - Evidemment !

            On lui connait des liaisons féminines ?...homosexuel ?

            - Non, mais actuellement il n’y a pas de femme dans sa vie.

            Classé à l’ultra-gauche radicale, activiste…il répète à qui veut l’entendre « On ne fera pas la révolution en écrivant des bouquins… » une pierre dans le jardin de Gauthier…en passant ! Très surveillé par la D.C.R.I. évidemment, mais aussi par les anti-terro…ils le soupçonnent d’avoir participé activement à plusieurs attentats mineurs visant des symboles de l’Etat…petits dégâts matériels…Ils ne sont pas parvenus à l’accrocher…tout ça pour vous dire que depuis il ne peut plus bouger un cil sans qu’on le sache.

            Il s’est lancé à fond avec Gauthier quand celui-ci a créé son mouvement, mais il y a sept ou huit mois la rupture, vous en connaissez les raisons…sans pour autant quitter le mouvement…il voulait sans doute le récupérer…il a entraîné avec lui une petite dizaine de militants, dont la petite…

            - Il va falloir s’intéresser de très très près à cette étudiante…

            - J’y compte bien… c’est peut-être elle la meurtrière !

            - Ce n’est pas impossible

            - Ce n’est pas tout !... la proviseur s’est souvenue d’une autre liaison de Gauthier avec une de ses élèves, il y a deux ans…mais ça n’a pas duré…la fille a été virée du lycée parce qu’elle dealait.

             Tiens donc ! Elle couche avec Gauthier et elle deale…C’est très intéressant…Il faut la retrouver.

            - Ce ne sera pas trop difficile, la chef m’a donné son nom.

            - La chef ?

            - Ouais…la proviseur quoi !

            - Vous avez son identité complète ?

            - Tout à fait !

            - Donnez-la moi, je vais demander son B1.

            - On a aussi commencé à entendre les « veuves » comme vous les appelez…la panique totale chez certaines, le déni absolu chez d’autres et quelques-unes qui reconnaissent et, visiblement, regrettent…pas d’avoir eu une liaison avec lui, mais qu’elle ait pris fin…Beaucoup sont des femmes mariées…C’était un connaisseur Gauthier…une femme mariée comme maîtresse c’est la tranquillité assurée…on ne l’a pas constamment sur le dos, à moins qu’elle veuille rompre avec son mari, mais ce n’est pas généralement le cas…elles se trouvent à l’aise dans l’adultère…le mari et la famille pour la façade et l’amant clandestin pour le plaisir, la clandestinité ajoute au plaisir… !

            - Vous parlez d’expérience commandant ?

            Huret eut un moment d’hésitation.

            - Euh…pas vraiment, répondit-il, à l’évidence gêné.

            - Excusez-moi, je vous taquine !...Quoi d’autre ?

            - J’ai posé la question à la proviseur e la présence de Gauthier pendant la cérémonie. Elle se souvient de l’avoir vu arriver, d’avoir parlé avec lui avant l’arrivée du recteur, en revanche, elle ne peut le situer pendant la remise…

            - Logique, son attention était occupée à autre chose !

            - On a reçu la réponse de FICOBA. Gauthier n’avais qu’un seul compte bancaire.

            L’exploitation des documents bancaires démontre que Gauthier n’était pas sur la paille, outre son traitement, sept virements arrivaient mensuellement sur son compte à partir de sept comptes différents…on n’a pas encore identifié les titulaires de ces comptes.

            - La proviseur m’a parlé d’appartements parisiens dont il aurait hérité à la mort de ses parents. Il doit les louer…Vérifier ça quand même.

            - C’était prévu.

            - On a quelque chose sur le faux ongle ?

            - Non ! Les salons de beauté n’ont pas de listing des clientes sur ce genre de prestation et l’ongle retrouvé est d’un modèle courant selon les professionnelles qu’on a vues. On a arrêté nos recherches.

            Comme il a séjourné dans l’eau souillée du siphon, il n’y a rien à en tirer.

            - Bon, vous avez bien progressé…Il faut qu’on se concentre sur cette étudiante. Vous allez affiner son profil et quand on en saura assez à son sujet, vous l’interpellez et vous l’entendez sous le régime de la garde à vue. C’est une meurtrière possible !

            - On va avoir une armée d’avocats gauchos sur le dos, qui vont nous pourrir la vie pour la moindre virgule.

            - Je sais, mais il faut vider l’abcès…Deuxième priorité, identifier l’auteur du texte de la clé USB.

            - Vous croyez que c’est important ?

            - Je ne sais pas, mais je trouve curieux que Gauthier l’ait eue en sa possession et qu’il l’ait gardée dans son appartement parisien qui était visiblement sa garçonnière.

            - D’accord !

            - Où en êtes-vous de l’exploitation des téléphones ?

            - On a presque terminé. Je vous en parlerai lorsque ce sera fait. Pour l’instant, j’avoue que je ne sais pas. Je laisse faire mes gars.

            - Eh bien commandant, bonne journée et bon courage !

           

 

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