Les philosophes meurent aussi

Publié le par Michel Meurant

CHAPITRE VII

            Elle parut au petit-déjeuner comme si de rien n’était. La nuit avait effacé la fatigue et la mauvaise humeur. Elle était resplendissante de beauté.

            Lorsqu’il arriva, à sept heures trente précise, comme à son habitude, c’était une véritable horloge suisse cet homme-là, le commandant HURET fut ébloui.

            - Bonjour Commandant ! Asseyez-vous, prenez un café avec nous.

            - Avec plaisir, répondit-il après les avoir salués.

            - Comment allez-vous ce matin ?

            - A peu près bien, Monsieur l’Avocat Général. Je n’ai pas beaucoup dormi, mais j’ai l’habitude.

            - Comment ça s’est passé ?

            - Pour le mieux, pas de problème…je vous raconterai !

            - Je ne vous dérange pas au moins, intervint Justine, de façon ouvertement ironique.

            - Pas du tout ma chère. Le commandant et moi faisons le point sur l’enquête tous les matins. Nous nous rencontrons ici, mais nous le faisons au Palais, répliqua-t’il, de manière à lui faire comprendre qu’elle n’avait rien à espérer.

            Elle se le tint pour dit.

            Lorsqu’en compagnie du commandant il quitta l’hôtel, il lança à la jeune femme, comme on lâche un ballon d’essai :

            - A ce soir !

            - A ce soir, répondit-elle.

            Il revint vers elle et, dans la salle encore déserte, lui saisissant la main, il embrassa longuement ses doigts, avant de rejoindre le policier qui était déjà dehors.

            - Elle est magnifique, commenta HURET.

            - Vous trouvez ?

            Le ton de la réplique était tel que le commandant s’abstint de toute autre remarque.

            - Alors, cette perquisition ?

            - Intéressante. Bel appartement bourgeois au premier étage d’un immeuble haussmannien, bien meublé, avec goût, bien tenu…un beau nid d’amour. A l’évidence, c’est là qu’il emmenait ses conquêtes. On a trouvé deux peignoirs de bain dans la salle de bain et des préservatifs dans une table de chevet de la chambre, ce qu’on n’avait pas trouvé à S… Il cloisonnait le père GAUTHIER…vieille méthode de comploteur. Rien sur son activité politique. En revanche un nouvel ordinateur portable et une clé USB, banale, de celles qu’on trouve dans les grandes surfaces. Sur place on a vérifié vite fait son contenu…il n’y a qu’un texte, assez long, sans titre…c’est un récit…une femme raconte, apparemment…pas du tout dans le style de GAUTHIER. C’est curieux !

            - Il faut lire ce texte avec minutie et découvrir qui en est l’auteur, si ce n’est pas notre homme. La clé est peut-être à l’auteur du texte. Que faisait-elle dans l’appartement ?

            - On va exploiter le contenu de l’ordi.

            - Rien d’autre ?

            - Ah si…on a trouvé des documents bancaires. Lors de la fouille du corps de GAUTHIER on n’a trouvé qu’une petite somme d’argent liquide, ni chéquier, ni carte bancaire. On n’en a pas trouvé davantage dans l’appart de S…

            On a fait une demande au fichier des comptes bancaires.

            - FICOBA ?

            - Tout à fait et au service des traitements de l’académie. Son traitement lui était obligatoirement viré sur un compte bancaire.

            - Très juste ! Et… ?

            - On n’a pas voulu nous renseigner par téléphone. Il a fallu faire une demande écrite et on n’a pas encore les réponses. Elles ne nous seront certainement plus utiles à grand-chose quand elles nous parviendront. La procédure est parfois lourde et surtout lente.

            - Mais c’est la procédure, vous savez ce qu’on en dit…

            - Dites moi !

            - la forme est la sœur jumelle de la liberté !

            - Alors ! lança Huret, visiblement pas convaincu ...Parmi les documents, il y avait des relevés de compte. J’y ai jeté un rapide coup d’œil. Apparemment il recevait des virements régulièrement. On va vérifier tout cela de près.

            - Le puzzle se complète ! Et les stups ?

            - Rien !

            Vous n’êtes pas venu aux obsèques…vous m’aviez dit…

            - Je sais, je n’ai pas pu. Comme ça s’est passé ?

            - Il y avait énormément de monde. Beaucoup de femmes…vous aviez raison…A un moment il y a eu, non pas une bousculade, mais un mouvement dans l’assistance. De là où j’étais placé, j’ai cru voir que certains voulaient dérouler une banderole ou un drapeau, je ne suis sûr de rien, ça a été bref et très furtif. Je suis certain que la plupart des gens présents ne se sont aperçus de rien. Tout ça a été photographié, on étudiera les clichés de près. On a photographié tout le monde, en cadrant particulièrement les femmes, et plus spécialement celles qui semblaient arborer un signe de deuil, même très discret.

            Il y a eu des discours devant la fosse. Celui de mes hommes qui suivait le cortège et qui s’est faufilé dans le cimetière m’a rapporté que la proviseur avait fait l’éloge funèbre de GAUTHIER et qu’ensuite un homme, qu’il nous faudra identifier, a rendu hommage à son engagement politique. Quelques individus ont entonné l’Internationale, mais on les a fait taire assez rapidement. C’est peut-être à rapprocher de ce que je vous ai dit à propos de cette espèce de bousculade…

            Parallèlement on a relevé les numéros de toutes les voitures garées à proximité du cimetière et du funérarium où reposait le corps avant l’enterrement.

            Ce n’est pas demain qu’on va s’ennuyer…un sacré boulot pour identifier tout ce monde-là.

            - A propos d’engagement politique, vous en êtes où à ce sujet ?

            - On a presque terminé d’éplucher la documentation trouvée à son domicile et ce qui se trouvait sur son ordinateur…

            - Le quel ?

            - Celui qui était chez lui à S… Celui qui se trouvait dans son casier au lycée ne contenait que des fichiers relatifs à son enseignement…aucun intérêt !

            - Et alors… ?

            - Je vous ferai un point quand on aura tout vu.

            - D’accord. Et ses amis… ?

                        - On les a approchés par l’intermédiaire de nos collègues  ex-RG, ça ne semble pas poser de problème. On va les entendre, mais je crois qu’il faut qu’on se prépare à de beaux exercices de langue de bois. Ils ne vont pas faire d’histoire, mais ils nous détestent. Nous sommes des instruments d’oppression du peuple au service de la grande bourgeoisie et du capitalisme…Ne riez pas, ils le pensent vraiment !

            Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je préférerais les entendre après avoir examiné tous les clichés des obsèques et essayer de décrypter l’incident…

            - Je n’y vois aucun inconvénient…mais dites-moi, vos collègues des ex-RG devaient y être…non ?

            - Je ne les ai pas vus, mais je vais leur poser la question.

            - Ils ont peut-être une idée sur ce qu’il s’est passé !

            - Pas bête !

            - Trop aimable !

            - Oh, pardon !

            - Allez, allez…je n’en mourrai pas.

            Les autres auditions ?

            - Elles se poursuivent. Les gars du commissariat font du bon boulot, il faudra les féliciter, on n’a rien à reprendre derrière eux, ou presque…Au fait, mon équipe a réentendu la jeune-femme qui a découvert le corps…

            - Et alors ?

            - Plus qu’intéressant…vous allez comprendre. En fait, elle est allée deux fois aux toilettes ce soir-là.

            - Comment ça ?

            - Elle nous l’a avoué en rougissant, elle souffre d’une cystite et elle a fréquemment besoin d’uriner. Elle ne l’avait pas dit lors de sa première audition…on a l’impression que pour elle c’est une maladie honteuse, comme on disait autrefois.

            - Et donc ?

            - Elle est allée aux toilettes alors que le recteur arrivait, c’est-à-dire peu avant le début de la cérémonie, et tout était normal…quand elle y est retournée, elle a trouvé GAUTHIER.

            - Combien de temps entre ses deux…visites ?

            - Une demi-heure, trois quart d’heure au plus.

            - Et la découverte du corps a eu lieu à… ?

            - Dix-huit heures dix-sept, selon la montre du commissaire.

            - Donc GAUTHIER a été tué, disons, entre dix-sept heures trente et dix-huit heures quinze !

            - C’est ça.

            - Est-ce que quelqu’un l’a vu quitter la salle pendant la remise ?

            - Aucun témoin n’en parle.

            - Etait-il présent au début… ?

            - Je ne sais pas.

            - La proviseur a été entendue ?

            - Pas encore.

            - Eh bien, je pressens que vous allez rendre visite à votre amie pour recueillir, sur votre petit carnet noir, les noms qu’elle doit nous communiquer et vous en profiterez pour l’entendre. Débrouillez-vous pour qu’elle ne vienne pas pleurnicher sur mon épaule par la suite !

             Comptez sur moi. Je vais me surveiller…Je vais faire patte de velours…ne croyez pas, je sais faire.

            Ils éclatèrent de rire.

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