Les philosophes meurent aussi

Publié le par Michel Meurant

Chapitre VII (suite)

Huret était à peine sorti que le téléphone sonna.

            - Oui !

            - Monsieur le Procureur ?

            - Je ne suis pas le procureur de S… mais un avocat général délégué par le Procureur Général…

            - Excusez-moi, Monsieur l’Avocat Général…Legrand, commissaire à la D.C.R.I.

            - Bonjour Monsieur le commissaire, que puis-je pour vous ?

            - Je sais que vous êtes en charge du dossier du meurtre de Jérôme Gauthier…

            - Vous êtes bien informé à la D.C.R.I. , l’interrompit-il, un rire dans la voix.

            Sur le même ton, l’autre répliqua :

            - Nous savons tout sur tout, Monsieur l’Avocat Général !

            - Si vous pouviez me dire qui a tué Gauthier, cela m’arrangerait plutôt !

            - C’est à ce sujet que je voudrais vous voir, si vous acceptez de me recevoir, moi et mes deux gars qui traitaient Gauthier.

            - Je n’ai aucune raison de refuser de vous voir…quand voulez-vous…en début d’après-midi, au Palais ?

            - C’est parfait, merci Monsieur le Proc…Monsieur l’Avocat Général.

            - A cet après-midi commissaire !

            La D.C.R.I., qui était le nouveau service de renseignement intérieur, constitué par le regroupement des Renseignements Généraux et de la D.S.T., traitait Gauthier ! Qu’est-ce que ça voulait dire ?      

            Comme chaque jour, il appela le P.G. Il eut nettement l’impression que l’autre attendait cela comme sa récréation quotidienne. Il doit sérieusement s’ennuyer, pensa-t’il.

            Il rendit ensuite visite au substitut. Comme il en avait l’habitude, il frappa et entra immédiatement, s’attendant à trouver son jeune collègue plongé dans ses piles de dossiers. Il était au téléphone.

            - Je vous rappelle !

            - Ne vous dérangez pas pour moi !

            - J’étais au téléphone avec les gendarmes. Nous avons une affaire de vol de métaux en cours…deux types en garde à vue depuis ce matin…

            - Racontez-moi ça !

            - Il y a quelques jours, un agriculteur, qui rentrait tardivement d’une réunion syndicale, a constaté la présence d’un véhicule en lisière d’un de ses champs. Intrigué il est allé voir. Il s’agissait d’un petit camion avec un plateau muni d’un bras de levage. A proximité se tenaient deux hommes et lorsqu’il leur a demandé ce qu’ils faisaient là, l’un d’eux a prétexté un pressant besoin d’uriner. Cela n’a pas paru très vraisemblable à notre agriculteur, son champ de ne trouvant pas au bord de la route, mais il n’a pas insisté et est parti, non sans avoir noté mentalement le numéro d’immatriculation du camion.

            Le lendemain, il est retourné sur place et a constaté qu’on s’en était pris à un énorme rouleau, destiné à être passé après les labours. Les paliers de l’engin avaient été démontés. Visiblement, lorsqu’il les avait dérangés, les deux hommes s’apprêtaient à embraquer les lourds cylindres métalliques qui le composaient.

            Notre homme est allé voir le gendarmes, leur a conté son histoire et a déposé plainte. Plusieurs vols de ce type avaient eu lieu dans le secteur. Le propriétaire du camion a été identifié. Les gendarmes l’ont interpellé ce matin. Ils l’ont trouvé avec son fils, qui correspond au signalement du deuxième homme, fourni par le plaignant.

            On démarre

            - Intéressant ! Tenez-moi au courant !

            - J’allais le faire …vous m’avez devancé.

            - Pas de problème…Bon courage !

            En début d’après-midi, le commissaire Legrand se présenta en compagnie de deux de ses hommes.

            - Bonjour messieurs…asseyez-vous !

            - Merci Monsieur l’Avocat Général ! Permettez-moi de vous présenter le commandant Ledoux et le capitaine Legloadec.

            - C’est avec eux que le commandant Huret a eu des contacts ?

            - Tout à fait ! …nous sommes très ennuyés…

            - Pourquoi ça ?

            - Le commandant Huret a pris contact avec Ledoux et Legloadec à propos de Jérôme Gauthier qui venait d’être assassiné. Il voulait des renseignements sur les activités politiques du monsieur…

            - Et alors ?

            - Eh bien…ils lui ont dit ce qu’il voulait savoir…

            - Je sais…où est le problème ?

            - On est très ennuyé…parce que…

            - Parce que ?

            - …on ne lui a pas tout dit ! intervint Ledoux.

            - Qu’auriez-vous dû lui dire ?

Le commissaire reprit la parole.

            - - Eh bien…Gauthier était un de nos agents !

            - Gauthier ?

            - Oui, ça paraît curieux, mais Jérôme Gauthier était un de nos agents de renseignements. Il nous tenait au courant de ce qui se passait au sein du mouvement politique qu’il avait contribué à créer.

            - Et pourquoi ?

            - Il n’y a pas des lustres qu’il nous renseigne…qu’il nous renseignait !

            Dans son mouvement s’est dessinée une opposition. Vous savez qu’il était le théoricien de ce groupe, ce n’était pas un activiste, plutôt un penseur, et certains ont considéré que ce n’était pas avec des mots qu’on « libèrerait la classe ouvrière », je cite, et qu’il convenait, pour aboutir à la révolution, de passer par des actions violentes, ce à quoi il s’opposait. C’est lorsque la fracture lui a paru irrémédiable qu’il a pris contact avec nous et depuis il nous renseignait, craignant que les autres passent  vraiment à l’acte.

            - Depuis combien de temps ?

            - Six mois environ.

            - Pourquoi vous êtes-vous décidés à venir m’en parler ?

            - C’est depuis les obsèques de Gauthier !

            - Comment ça ?

            - Il s’est produit deux incidents…

            - Je sais, Huret m’en a parlé, mais la P.J. n’a pas bien vu et pas bien compris ce qu’il s’est passé…

            - En fait, de façon très furtive, les deux clans se sont affrontés…certains ont voulu dérouler une banderole appelant à l’action et dénonçant Gauthier…au cimetière ils ont voulu chanter l’Internationale…ils se sont heurtés aux fidèles de Gauthier.

            - Je ne comprends toujours pas.

            - Ces deux incidents et ce qu’on sait du mouvement nous laissent croire que Gauthier était grillé, qu’on avait découvert qu’il nous renseignait…

            - Et vous pensez que sa mort est peut-être liée à cela…

            - Absolument !

            - C’est courageux d’être venu m’en parler !

            - Merci, Monsieur l’Avocat Général, mais j’ai considéré qu’on ne pouvait pas faire autrement…que c’est une piste possible.

            - Et qui sont ces gens qui prônent l’action violente ?

            - Ils ne sont pas nombreux, une petite dizaine, dirigés par un collègue de Gauthier, un prof d’Histoire au lycée de S…

            - C’est un nid, ce lycée qui se veut modèle !

            - Il ne faut rien exagérer, mais il est vrai que l’Education Nationale nous intéresse beaucoup.

            - Et comme s’appelle notre historien ?

            - Henri Barbier, 34 ans, célibataire, agrégé d’histoire…

            - Ne me dites pas qu’il collectionnait les femmes, comme Gauthier.

            - Non ! Ce n’est pas le genre de la maison.

            - Vous souvenez-vous qu’à une époque on prétendait que les militants de « Lutte ouvrière », tout au moins les dirigeants, n’avaient pas le droit de se marier…c’est le cas dans le mouvement de Gauthier ?

            - Non ! Gauthier était célibataire…comme Barbier…c’est une coïncidence. Il y a des gens mariés parmi eux, mais ils se marient souvent entre militants.

            - Curieux ces gens…ça fait un peu secte…non ?

            - On ne s’est pas vraiment intéressé à cet aspect des problèmes que posent ces gens-là, mais c’est une idée…

            - Je vous remercie d’être venu m’éclairer sur Gauthier, ça ouvre des horizons qui étaient jusque-là insoupçonnables…Je vais demander au commandant Huret de reprendre contact avec vous et cette fois dites-lui tout !

            Les hommes partis, il appela Huret.

            - Commandant, pouvez-vous passer me voir immédiatement ?

            - Ne me dites pas que vous avez quelque chose de nouveau à m’apprendre !

            - Comment avez-vous deviné ?

            - Ce n’est pas vrai… bientôt vous n’aurez plus besoin de moi !

            - Allez, ne vous vexez pas, venez vite !

            Huret ne tarda pas.

            - Asseyez-vous et ne grognez pas !

            Le commandant s’assit et demeura silencieux.

            L’avocat général lui exposa ce qu’il venait d’apprendre à propos de Gauthier, de son mouvement, des membres qui s’étaient dressés contre lui…IL lui révéla également comment il avait appris tout cela.

            Lorsqu’il eut terminé il y eut un grand silence.

            Ce fut le commandant qui le rompit.

            - Eh bien ! Gauthier ! Gauthier un indic,…qui aurait cru ça de lui !

            Il était stupéfait.

            - Voulez-vous que je vous dise, reprit le magistrat, cela ne m’étonne qu’à moitié. Au fond, Gauthier était resté un bon bourgeois et la politique, comme les femmes, était un jeu, quelque chose qui n’était pas vraiment sérieux, alors, quand ça a mal tourné, que le jeu est devenu sérieux et par la même occasion dangereux, il a retrouvé les réflexes de sa caste et fait appel à la police protectrice !

            - Ouais… ! Vous avez sans doute raison…mais quand même…sympas les collègues…ils m’ont pris pour un cave !

            - Il faut les comprendre…vous grillez facilement vos indics, vous ?

            - Mais il était mort !

            - Certes, mais ils ont cru pouvoir taire leurs relations jusqu’à l’enterrement et là…il faut savoir leur en être reconnaissant, ils ne se sont pas enfermés dans la…bêtise…j’allais employer un autre mot…et nous laisser errer dans l’ignorance.

            - C’est vrai… ! N’empêche…

            - Quoi, n’empêche ?

            - Quand je vais les rencontrer je vais leur faire savoir ma façon de penser !

            - Vous n’en ferez rien ! Ne leur faites pas regretter leur beau geste. Montrez-vous beau joueur. Ils seront étonnés, car ils s’attendent à votre engueulade !

            - Vous avez…encore raison !

            - D’autant que nous aurons peut-être encore besoin d’eux. Dois-je vous dire que vous allez devoir vous intéresser à Barbier et à son clan…mais attention…ce sont des gens qui peuvent être dangereux…s’ils sont responsables de la mort de Gauthier, vu l’objectif qui est le leur, ce n’est pas la peau d’un flic qui va les embarrasser…alors mettez la pédale douce !

            - N’ayez crainte, je ne suis pas un kamikaze.

            - Ce que nous a révélé Legrand explique peut-être le Gauthier préoccupé des derniers jours avant sa mort.

            - C’est fort possible. On tient peut-être enfin une piste… il y a des femmes dans le groupe des…révoltés ?

            - Vous verrez ça avec Ledoux et Legloadec !

            Au travail !

            Vu l’heure, le P.G. attendrait jusqu’au lendemain.

            Il quitta le Palais.

            Lorsqu’il arriva à l’hôtel, Justine s’y trouvait déjà. Elle était installée à la terrasse. Il s’assit près d’elle.

            - Je vous attendais.

            - Merci !

            - De quoi…de vous attendre… ?

            - Non ! D’être restée, lui murmura-t’il en s’emparant de sa main pour embrasser ses doigts.

            Elle le laissa faire, sans rien dire, savourant visiblement l’instant.

            Ils dînèrent ensemble.

           

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article